Communiqué de presse, Paris le 14 décembre 2017
Loup Hybride : En Finir Avec Les Contre-Vérités
Un collectif de particuliers avait entrepris une démarche individuelle d’analyses génétiques sur les loups commandées à un laboratoire allemand ForGen. Rendus publics en date du 22 Novembre 2017 par conférence de presse, les résultats présentés appellent plusieurs interrogations de la part des différents acteurs impliquées dans le dossier Loup qu’il convient de lever.
Résumé exécutif
1. Les résultats présentés par ce collectif de particuliers font état de 127 échantillons collectés et analysés, parmi lesquels 20 sont analysés de façon complète et sont tous qualifiés d’hybrides de lignée non italienne.
2. Ces résultats sont complètement divergents de ceux publiés récemment par l’ONCFS.
Pour rappel, les résultats de l’ONCFS sont ceux-ci : 228 échantillons ont été envoyés au laboratoire Antagène durant l’été 2017 ; parmi les échantillons qui ont pu être analysés, 130 échantillons étaient soit des hybrides, soit des loups, et suite à analyse plus précise : 120 sont des loups, tous de lignée génétique italienne, 2 ont des signatures génétiques qui correspondraient à des hybrides de 1ère génération (cad père ou mère chien) et 8 ont des signatures génétiques qui correspondraient à une hybridation plus ancienne (cad grand-père, ou grand-mère, ou arrière grand-père etc chien).
3. L’ONCFS souhaite organiser une rencontre afin que les deux laboratoires, ForGen et Antagène, puissent confronter leurs résultats et mieux comprendre les raisons de ces divergences.
4. Dans l’attente de cette rencontre, l’ONCFS demeure extrêmement confiant dans les
résultats fournis par le laboratoire Antagène, fort des références et des méthodes
validées sur le plan scientifique international.
5. Au vu des documents diffusés lors de cette conférence de presse, l’ONCFS est d’autant plus précautionneux sur les conclusions apportées par ce collectif de particuliers, tant les étapes de prélèvement et manipulation des échantillons, les marqueurs recherchés – ou écartés, la lecture et l’interprétation des résultats montrent des lacunes importantes.
6. L’étude présente également d’autres approches telles que des analyses cartographiques qui remettent en cause le nombre de loups détectés, des analyses de crânes, de photos, sur lesquelles l’ONCFS émet également de sérieuses réserves en l’absence de référence scientifique en la matière.
7. D’autres éléments présentés dans l’étude ne sont pas de nature scientifique ni technique, mais politiques visant à remettre en cause de façon globale les actions de l’Etat sur le dossier du Loup. Le collectif se place de façon évidente dans une posture, fusse-t-elle par ailleurs légitime au débat, de contestation et de revendication, à laquelle la présente note n’a pas la prétention de répondre.
Cette présente note se cantonne à expliquer les réserves scientifiques et techniques qu’émet l’ONCFS sur les analyses présentées par un collectif de particuliers lors de la conférence de presse du 22 novembre 2017. Elle ne répond pas aux mises en cause qui dépassent le champ de l’ONCFS et concernent plus globalement la politique de l’Etat sur le sujet du Loup.
1- Sur la solidité des analyses génétiques
C’est un débat d’experts et l’ONCFS souhaite organiser une rencontre entre ForGen et Antagène début 2018. Antagène a l’habitude de cet exercice de confrontation des résultats et en est tout à fait preneur.
Ceci dit, dès à présent, nous pouvons affirmer que les résultats présentés ne sont pas de nature à remettre en question les résultats publiés récemment par l’ONCFS, qui reste très confiant dans les analyses effectuées à sa demande par le laboratoire Antagène durant l’été 2017.
En effet, concernant l’étude présentée, de nombreuses réserves peuvent être formulées :
a- concernant le prélèvement et la manipulation des échantillons
- La méthode de collecte par écouvillonnage au niveau des plaies représente un risque majeur de pollution de l’échantillon, qui est d’ailleurs révélé sur les 3/4 des échantillons traités, au vu des résultats présentés.
- Rien n’est dit sur la conservation et le transport de ces échantillons ni même sur la traçabilité ou encore le conditionnement. Il faut savoir que l’étuvage fragilise l’ADN, d’autant plus quand il est dégradé et rare.
b- concernant l’analyse génétique elle-même
- Aucune répétition des amplifications n’est effectuée, un prérequis pourtant majeur pour les analyses sur ce type d’ADN dans la littérature internationale, afin d’éviter les faux génotypages.
- Selon Antagène, 10 marqueurs ne sont pas suffisants pour détecter l’hybridation sur de l’ADN rare et dégradé, d’autant qu’il n’est pas mentionné ni le degré de polymorphisme, ni le seuil de marqueurs « répondants » pris en compte parmi ces 10 pour considérer l’analyse comme fructueuse. Historiquement, le laboratoire qui traitait les analyses génétiques pour le compte de l’ONCFS utilisait 6 marqueurs, puis 12, mais à une époque où la technologie génétique n’était pas si avancée et où le sujet de l’hybridation n’était pas traité.
- Les allèles rares, faux allèles et encore moins les pertes alléliques ne sont considérés, alors que ces phénomènes sont largement connus en biologie moléculaire, et pour lesquels il est essentiel de se prémunir (approche de répétabilité des résultats dite approche multitube).
- Des erreurs apparaissent visiblement dans l’explication des analyses : les marqueurs ne sont pas situés comme mentionné « sur les 0,1% du génome différent entre loup et chien ». Ils sont situés partout sur le génome et c’est la différence d’occurrence des allèles sur chaque marqueur qui renseigne sur la probabilité qu’on ait affaire à un loup ou à un chien ou à un hybride.
- Au sein du génome nucléaire, on ne peut pas dire qu’il y ait des gènes de loup ou de chien, ni même qu’il y ait des marqueurs de loup ou de chien, ni même encore qu’il y ait des allèles de loup ou de chien. Il y a des probabilités d’occurrence des allèles sur chaque marqueur plus ou moins importante pour un loup ou un chien. C’est la combinaison de l’occurrence de ces allèles sur les marqueurs, en comparaison à une population de référence, qui permet de dire si l’échantillon a de forte probabilité ou pas d’appartenir à la population.
- Quand un seul allèle apparaît sur un marqueur donné, ça n’est pas forcément un homozygote. Cela peut être une perte d’allèle (et donc un questionnement sur la qualité de l’ADN présent dans l’échantillon).Quand 3 allèles apparaissent, ça n’est pas forcément qu’il y a 2 individus. Il peut y en avoir beaucoup plus, avec cependant la certitude d’une pollution génétique de plusieurs individus ou de plusieurs espèces.
L’absence d’identification du chromosome Y ne veut pas forcément dire qu’on a affaire à une femelle : quand il s’agit d’ADN rare et dégradé, les pertes d’allèles sont courantes. L’ensemble de ces points non traités dans l’exercice ne permet de valider aucune empreinte individuelle fiable.
- L’ONCFS et Antagène n’ont pas connaissance d’allèles spécifiques « diagnostics » de
certaines lignées sur les marqueurs microsatellites en référence à la littérature
scientifique internationale. La lignée d’appartenance ne peut s’étudier que sur une zone bien précise de l’ADN mitochondrial par lecture de séquence (et non sur les microsatellites) et on ne peut donc renseigner que la lignée maternelle.
- L’étude présente un « allèle 80 » comme étant un marqueur de la lignée italienne.Cette dénomination dénote une incompréhension des notions génétiques. Un allèle ne s’exprime qu’en référence au marqueur qui le porte (non identifié dans le document ni référencé sur le plan scientifique).
c- concernant la lecture et l’interprétation des résultats
- ForGen n’est pas le laboratoire référent pour les analyses génétiques Loup en
Allemagne (communication de nos collègues allemands) et n’a jamais publié ses méthodes dans des publications sur ce sujet. Aucune référence n’est d’ailleurs citée dans l’exercice.
- Aucune lecture des résultats en double aveugle n’est mentionnée.
- Le document ne fait mention d’aucune des méthodes (ou références) utilisées pour l’assignation des analyses aux espèces loup ou chien, de même qu’aucun seuil statistique de significativité.
- Aucun indice de qualité final de chaque analyse n’est indiqué.
- Sur 120 échantillons analysés, seules 20 analyses sont complètes, traduisant ainsi la très faible qualité des échantillons et analyses qui en deviennent ininterprétables.
- Tous sont classés « en hybrides ». Pour l’ONCFS, les profils génétiques présentés résultent probablement de mélanges d’ADN appartenant à une ou plusieurs espèces, qu’il n’est pas possible de démêler au travers de la méthode utilisée.
- Même si ces 20 échantillons étaient tous hybrides, on ne pourrait pas extrapoler en affirmant que la population lupine française serait 100% hybride. Sont-ce des individus identiques ? Au vu de la faible qualité des résultats, il est impossible d’extrapoler sur le
nombre d’individus différents.
2- Sur la pertinence des autres analyses
La méthode de mesure craniométrique n’est pas pertinente. Si elle est connue pour
permettre de différencier les gammes entre loup et chien avec un corpus de plusieurs
mesures associées (allométries) (cf. travaux de Orsini & Fabre, Muséum d’Histoire Naturelle de Toulon) une simple mesure du crane n’est pas suffisante .Le pouvoir de discrimination pour les crânes de taille moyenne reste statistiquement trop peu fiable.
Dans l’étude présentée, la personne citée comme experte sur cette méthode des crânes est connue pour travailler également sur des classifications de chiens, loups et hybrides à partir des mesures morphométriques sur photos ou encore sur des empreintes des pattes. Ces analyses ne reposent à notre connaissance sur aucune base scientifique publiée à ce jour dans la littérature internationale.
Par ailleurs la question sera posée de la provenance des crânes analysés par ce collectif de particuliers, et des autorisations de détenir et transporter tout ou partie d’espèce protégée, le cas échéant.
En conclusion :
Il subsiste de nombreuses approximations et incertitudes quant à l’approche mobilisée et aux résultats présentés, y compris sur les fondamentaux scientifiques et techniques de ce type d’analyses non invasives qui requièrent un cahier des charges précis. Nous tâcherons de les lever avec l’aide des laboratoires prestataires, de part et d’autre.